Intérimaires : les syndicats à la rescousse

mardi 22 mai 2007

Indépendamment des actions individuelles, un syndicat peut agir en justice contre le recours systématique à l’intérim ou aux CDD.

L’actualité (tout récemment l’affaire Airbus) nous en fournit régulièrement la preuve : les grandes entreprises, surtout dans l’industrie, ont pris l’habitude d’assurer la flexibilité dont elles ont besoin en se dotant d’un confortable « coussin » d’intérimaires, dont il est facile de se séparer en période de tourmente. Face à ces situations, qui sont souvent (pas toujours) abusives, l’intérimaire est bien démuni. Agir seul en justice ? Il le pourrait, certes, mais il sait que, ce faisant, il se coupe tout espoir de retrouver d’autres missions dans la région. S’unir avec les autres ? C’est moins risqué et le procédé a déjà démontré son efficacité.

Pour mémoire, on citera l’affaire Sovab, cette filiale de Renault, qui, imperturbablement, recourait à l’intérim pour faire face à une surcharge de travail, légitime au départ, mais qui, s’étant installée au fil du temps, avait perdu son caractère temporaire. Quarante salariés avaient simultanément demandé la transformation de leur fausse mission temporaire en vrai CDI et avaient obtenu gain de cause, la Cour de cassation prenant la peine de donner une large publicité à l’arrêt, probablement pour faire comprendre à la Régie qu’elle était surveillée (Cass. soc., 21 janv. 2004). Mais ce type d’opération est rare. Bien sûr, la tactique de l’attaque en nombre peut être facilitée par un syndicat qui, sur la base de l’article L. 124-20, prendra l’initiative de l’action en justice en demandant un mandat à chaque intéressé, mais cette démarche demande à l’organisation syndicale beaucoup d’énergie et de patience. C’est pour cela que la récente initiative de la CGT dans une affaire Peugeot, que vient de juger la cour d’appel de Versailles le 28 mars, mérite notre attention.

Une demande audacieuse

La société Peugeot-Citroën, tout comme sa célèbre concurrente, a pour coutume de faire appel à une grande quantité d’intérimaires chaque fois qu’elle lance un nouveau véhicule. Une pratique qui déplaît fortement à la CGT, cette dernière n’y voyant pas simplement une atteinte aux droits individuels des salariés, mais aussi à l’intérêt collectif de la profession, ce qui lui permet d’intervenir sur une question de principe.

Les syndicats tiennent, en effet, de l’article L. 411-11 du Code du travail, le droit d’ester en justice contre les « faits portant un préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif de la profession qu’ils représentent ». Forte de cette prérogative, la CGT décide de remettre en question l’utilisation que la société Peugeot fait de l’intérim. Sa demande, présentée devant le juge des référés, est audacieuse : elle exige que l’employeur consulte le CE et monte un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) chaque fois qu’au moins 10 missions d’intérim viendront à expiration sur une même période de trente jours. Ça, c’est pour l’avenir. Pour le passé, elle demande, sous astreinte de 1.000 euros par jour, la réintégration de tous les intérimaires « irrégulièrement licenciés » entre octobre 2005 et avril 2006. Motif : le lancement de nouveaux modèles fait partie de l’activité normale de l’entreprise et il n’y a donc pas lieu de recourir au travail temporaire. La cour d’appel répond sur la procédure, puis sur le fond de la demande.

Missions raisonnablement courtes

Première question, donc, le syndicat était-il en droit de saisir le juge en agissant en son nom propre et non pas à la place de tel ou tel salarié dont il aurait obtenu mandat ? Réponse oui : une action contre le recours systématique aux contrats précaires entre bien dans le rôle du syndicat. Deuxième question : le juge des référés est-il compétent pour ce type d’action ? Oui : si l’analyse de la CGT se révèle exacte, il y a bien un trouble illicite à faire cesser.

Sur le fond, en revanche, la cour d’appel va donner raison à Peugeot, mais en des termes nuancés. Certes, dit-elle, le lancement d’un nouveau modèle relève de l’activité normale d’un constructeur automobile, mais on ne sait pas d’emblée s’il va engendrer un accroissement durable d’activité, donc l’intérim se justifie dans un premier temps. Ce disant, elle rejoint ce qu’a dit récemment la Cour de cassation (Cass. soc., 24 janv. 2007, arrêt Renault) qui, notons-le, est en contradiction avec un arrêt Peugeot à peine plus ancien (Cass. soc., 13 avril 2005).

N’empêche que les industriels ont intérêt à veiller à ce que leurs missions d’intérim restent raisonnablement courtes !

Article paru sur le site « lesechos.fr » du 17/04/2007 - Onglet Compétences