Les SMS et les e-mails comme mode de preuve

samedi 9 juin 2007

Les moyens de communication modernes fournissent-ils des modes de preuve valables, notamment en droit du travail ?

Les nostalgiques auront beau le déplorer, au XXIe siècle, les e-mails et SMS ont largement supplanté les moyens de correspondance classiques, lettres, télégrammes, fax.

Par voie de conséquence, les pièces à conviction produites devant les tribunaux ont changé de nature et les juges de premier niveau ont dû assumer la tâche délicate de décider si ces preuves étaient recevables. Le principal problème n’est pas tant de déterminer leur fiabilité que leur confidentialité.

En droit du travail, la question se pose dans les deux sens. D’abord, du côté de l’employeur, en ce qui concerne les messages émis ou reçus par l’ordinateur professionnel : techniquement, il est facile d’en prendre connaissance mais peut-il se prévaloir de ce qu’il a lu à l’insu du salarié ? Ensuite, du côté du salarié : peut-il, sans porter atteinte aux droits de l’envoyeur, rendre publics les messages dont il est destinataire à titre privé ? Réponses dans deux arrêts du 23 mai 2007. Quant au contrôle de l’employeur sur la messagerie de ses salariés, on sait, depuis le célèbre arrêt Nikon, que les courriels sont couverts par le secret de la correspondance : « L’employeur ne peut, sans violation du secret des correspondances, prendre connaissance des messages personnels émis par le salarié ou reçus par lui grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail et, ceci, même au cas où il aurait interdit une utilisation non professionnelle de l’ordinateur » (Cass. soc., 2 oct. 2001).

Supplice de Tantale moderne

De là à en déduire que l’employeur est dans l’incapacité d’empêcher un membre de son personnel de diffuser des informations professionnelles confidentielles à qui bon lui semble, il n’y a qu’un pas… que les salariés feront bien de ne pas franchir car, on vient de l’apprendre, une utilisation à bon escient du Code de procédure civile permet à l’entreprise d’accéder, en toute légalité, aux courriels suspects.

C’est à la société Datacep qu’on doit cette nouvelle, réjouissante pour les entreprises. Celle-ci soupçonnait un responsable marketing d’entretenir, via son ordinateur professionnel, une correspondance électronique avec deux personnes, étrangères à l’entreprise, en vue de la création d’une entreprise concurrente.

Supplice de Tantale moderne, les preuves étaient à sa portée mais elle ne pouvait se les procurer… sauf à utiliser l’article 145 du nouveau Code de procédure civile qui prévoit que : « S’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve des faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé. »

Datacep demanda au président du TGI une ordonnance autorisant un huissier à accéder aux données contenues dans l’ordinateur et, en présence du salarié, d’enregistrer la teneur des messages en question.

Malgré ces précautions, la cour d’appel de Douai annule le procès-verbal dressé par l’huissier, considérant que la mesure d’instruction sollicitée par l’entreprise portait atteinte à une liberté fondamentale.

La Cour de cassation casse cette décision : « Le respect de la vie personnelle du salarié ne constitue pas en lui-même un obstacle à l’application de l’article 145 du nouveau Code de procédure civile, dès lors que le juge constate que les mesures qu’il ordonne procèdent d’un motif légitime et sont nécessaires à la protection des droits de la partie qui les a sollicitées » (Cass. soc., 23 mai 2007, n° 05-17.818).

Voilà les entreprises rassurées : pour peu qu’elles passent par les circuits judiciaires, elles pourront se procurer les pièces à conviction figurant sur la messagerie de leur personnel. Mais, pour faire mentir le proverbe, le bonheur des uns fait aussi le bonheur des autres. Car les salariés aussi reçoivent des courriels ou des SMS qui peuvent leur être utiles dans une instance prud’homale. Exemple, cette négociatrice immobilière qui recevait sur son téléphone portable des SMS constitutifs de harcèlement sexuel envoyés par son patron.

Pour se défendre, celui-ci invoque le caractère privé et confidentiel de ses SMS mais la Cour de cassation balaye l’argument : si l’enregistrement d’une conversation téléphonique, à l’insu de l’auteur des propos incriminés, ne peut servir de preuve en justice, il en va autrement des SMS dont l’auteur ne peut ignorer qu’ils sont enregistrés par l’appareil récepteur (Cass. soc., 23 mai 2007, n° 06-43.209).

source : lesechos.fr du 05/06/07 - onglet compétences