L’entreprise et les courriers personnels des salariés

samedi 16 juin 2007

Il n’y a pas lieu de sanctionner un salarié parce qu’il se fait envoyer une revue douteuse à son adresse professionnelle.

Si l’on faisait une enquête auprès d’un échantillon représentatif de salariés en leur demandant si c’est une faute de se faire envoyer du courrier sur son lieu de travail, nul doute qu’une majorité répondrait oui. La proportion serait encore plus forte si le sondage était fait auprès des employeurs. Pour beaucoup, c’est une telle évidence qu’ils ne pensent même pas à préciser ce point dans le règlement intérieur. Ils ont bien tort, car une affaire récemment jugée prouve que la croyance générale n’est pas fondée.

Un chauffeur de direction se fait adresser, sur son lieu de travail, un exemplaire d’une revue échangiste. Le pli, bien qu’étant nommément adressé à ce chauffeur, arrive sous une simple enveloppe commerciale, de telle sorte que le service courrier l’ouvre. Ce service est un lieu de passage et les documents sont bien en vue. Certains membres du personnel s’en offusquent et s’en plaignent à la direction. Convoqué à un entretien, le chauffeur reconnaît avoir indiqué son adresse professionnelle pour ne pas recevoir cette revue à son domicile.

L’entreprise estime que ces « agissements » portent atteinte à son image et sont incompatibles avec le métier de chauffeur de direction. On propose donc à l’intéressé une rétrogradation, qu’il accepte dans un premier temps. Puis il se ravise, et saisit les prud’hommes, en prétendant avoir signé sous la contrainte. Il veut obtenir son rétablissement à son ancien poste et le retrait de toute trace de cette sanction de son dossier personnel.

Première question posée : était-il normal que le service courrier ouvre ce pli ? Le salarié soutient que non, estimant qu’il était patent que le courrier était personnel. L’employeur relève, au contraire que, non seulement les mentions « personnel et confidentiel » ne figuraient pas sur l’enveloppe, que toute son apparence dénonçait une lettre commerciale, que la fonction de l’intéressé était indiquée, et enfin que le salarié connaissait les habitudes de l’entreprise et savait qu’il prenait le risque que cette enveloppe soit ouverte.

Deuxième point : le fait de se faire envoyer une revue de ce genre à l’adresse de l’entreprise constitue-t-il une faute, particulièrement quand on est le chauffeur du patron ?

La cour d’appel penche pour la thèse patronale. La Cour de cassation ne la rejoint que sur un point : l’entreprise n’avait pas commis de faute en ouvrant le courrier litigieux. En revanche, la rétrogradation disciplinaire était sans fondement, les faits reprochés au salarié ne constituant pas une faute (Cass. ch. mixte, 18 mai 2007, n° 05-40.803).

Vie privée

Il est fréquent, on l’a vu, que les entreprises interdisent ou croient interdire à leurs salariés de se faire adresser de la correspondance privée à leur adresse professionnelle. Quelle est, aujourd’hui, la valeur de ce genre de prescriptions ?

Dans l’affaire qui nous occupe, notons que la société n’invoque pas le règlement intérieur, ce qui laisse à penser que celui-ci était muet sur la question. Mais à supposer qu’il ait comporté une clause à cet égard, celle-ci n’aurait eu de valeur qu’à la condition d’être justifiée par des considérations professionnelles telles que l’engorgement du service courrier, par exemple.

En dehors de cette hypothèse, on peut conclure du présent arrêt que la réception de courrier personnel n’est pas une faute. On se souvient de cet attendu de l’arrêt Nikon qui a fait couler tellement d’encre : « Attendu que le salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de l’intimité de sa vie privée », dont on a déduit qu’il subsistait, dans la vie professionnelle, un espace de vie personnelle qui comprend la réception, dans une limite raisonnable, de coups de téléphone privés, de courriels personnels et, pourquoi pas, de lettres ou autres envois postaux.

Maintenant, cette liberté n’est-elle pas réservée aux courriers « labellisés » comme étant personnels ? La réponse est manifestement négative : on ne peut reprocher à l’employeur d’avoir ouvert une enveloppe ne présentant aucun signe permettant de détecter son caractère personnel. Mais dès lors qu’il en connaissait la teneur, l’article 9 du Code civil lui interdisait d’en prendre prétexte pour prononcer une sanction. Ce qui lui est reproché, c’est d’avoir sanctionné le salarié, non pas pour avoir perturbé le personnel affecté au courrier, mais en raison du contenu de la revue qu’il s’était fait adresser.

Source : lesechos.fr du 13/06/2007 - article de MARIE HAUTEFORT - onglet compétences